LA SONATINE *

 

Sans un mot, la professeure chassa les plis de sa jupe avant de se placer sur la chaise, le dos légèrement incliné. Éternelle icône assise au piano, dans la lignée de Marguerite Long et de Maurice Ravel, elle ajusta ses mains sur le clavier, opposa la pointe de son pied droit à celle de la pédale. Ferma les yeux. La rencontre des deux corps, l'un de chair, l'autre de bois, avait tant de fois eu lieu, qu'on les aurait dit faits de la même matière. D'une foulée régulière, chaque doigt se repliant sous la paume après avoir frappé la note, elle entama la Sonatine. De mémoire, sans partition. Dans ses gestes, dans cette image d'elle jouant du piano, rien n'avait changé. Elle était toujours cette même femme. Avant ou après la guerre, avec ou sans enfant, portant ou non le patronyme de son mari, elle était ainsi, elle avait toujours été ainsi, assise devant un piano, sans âge, magnifiquement digne, gardant au creux de la poitrine une certitude face à la musique que ni l'amertume d'une carrière arrêtée, ni le temps n'avaient érodée.

* Issu du roman "La musique vous aime, Antoine..." Editions Envol Emoi