L'abbaye de Sénanque


L'abbaye de Sénanque est une tortue qui vit blottie au fond d'une gorge au milieu d'un champ de lavande. Carapatée sous ses écailles de lauzes, elle semble fâchée d'être soumise ainsi aux regards des touristes. Le long d’un mur, six croix en bois indiquent les tombes des moines défunts. Une seule est fleurie. Pour combien de temps ?

Parfois s’y arrêtent des vagabonds pour y trouver un gîte, la charité qu’ici on ne pourra leur refuser. Ce matin, c’est un couple de jeunes gens qui est venu frapper à la porte. On les dirait frère et sœur avec leurs yeux bleus, leur face rougeaude, leurs cheveux blonds sales. Ils portent des pulls sans forme, une odeur de bêtes sauvages, de feu de bois et la peau séchée par un même trop plein de mistral. Les pieds nus, ils ont vingt ans.

Partis de Gardanne, ils veulent rejoindre la Norvège. Ils y arriveront lorsqu'il sera temps, par un chemin en zigzag comme celui que la main de la jeune femme indique aujourd’hui dans le soleil, demain sous la pluie. C'est leur choix, dit-elle.

Étonnante image que ces aventuriers venus se blottir dans ce lieu immobile. N’est-ce pas une drôle de rencontre, ces jeunes gens et ces vieux moines ? Cette bouffée de temps libre soufflant dans des heures quadrillées de vigiles et complies ? Les uns veulent s'étonner, les autres n'ont rien à attendre.

Ils ont trouvé un point commun.